La rémunération à la capitation met un pied dans la convention

La convention médicale signée le 4 juin dernier marque la fin d’un psychodrame de 20 mois entre l’assurance maladie et les syndicats médicaux. Ce pensum de 177 pages (hors annexes) est destiné à satisfaire les intérêts de chaque catégorie de praticiens tout en améliorant l’accès aux soins ; une véritable gageure. En dehors de l'augmentation des tarifs de certaines consultations, on y parle aussi de rémunération à la capitation et des cabinets à horaire étendu (CHE).

Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à l'assurance maladie.

Pour en savoir plus :

- AMELI

- Texte final

- Présentation synthétique par l'assurance maladie

Il ne faut pas s'étonner...

« Habemus convention médicale », s’est écriée la directrice déléguée de la Caisse nationale d’assurance maladie, Marguerite Cazeneuve, sur le réseau X (twitter), après la signature de la nouvelle convention le 4 juin dernier, une manière de témoigner de son soulagement après 20 mois de négociation âpre marquée par ses coups de théâtre, suspensions de séances, menace de grève et de déconventionnement, refus d’un premier texte soumis par l’assurance maladie...

La négociation, qui a démarré en novembre 2022, s’est déroulée en deux temps. Les syndicats médicaux ont d’abord refusé unanimement un premier texte soumis par l’assurance maladie début 2023. Les négociations n’ayant pas abouti, la procédure du règlement arbitral a été activée, prorogeant la convention médicale de 2016 en y apportant des évolutions mineures. Le tarif de la consultation a ainsi été porté de 25 à 26,50 euros, soit 1,5 € supplémentaire ce qui a été perçu par de nombreux médecins libéraux comme une marque de mépris de la part des autorités sanitaires.

 

Il ne faut pas s’étonner de ce grand désordre car la convention fixe, pour cinq ans (ou plus), le tarif des honoraires médicaux, et donc le revenu des médecins libéraux. Or, le tarif de la consultation médicale est resté inchangé depuis 2017. Suite à la crise sanitaire du covid19, une revalorisation des personnels hospitaliers a été négociée pendant l'été 2020, le Ségur de la santé. La convention médicale aurait dû être engagée immédiatement après, mais dans le contexte de l’élection présidentielle de 2022, la date en a été reportée, et elle n’a été relancée qu’en 2022  pour aboutir en juin 2024.

Pour l’assurance maladie, c’est un vrai casse-tête car elle doit mener des négociations avec huit syndicats différents, quatre pour les généralistes (MG France, CSMF, UFML, FMF) et autant pour les spécialistes (Avenir spé, CSMF, UFML et le SML), chaque syndicat ayant ses propres priorités. Certains syndicats ont essayé de peser sur les négociations en agitant la menace du déconventionnement*, sous l’impulsion de l’union française pour la médecine libre (UPSL), seul syndicat n’ayant n’a pas signé la convention. Selon les chiffres de la Cnam (20 Minutes), les praticiens non conventionnés représenteraient aujourd’hui « 0,7 % de l’ensemble des médecins libéraux en France ». Soit environ 700 médecins sur les presque 111.000 en exercice. La Cnam parle également de « quelques dizaines de médecins » qui se seraient déconventionnés en 2023… Intox ?

Par ailleurs, cette négociation a bénéficié de vents contraires sur le plan politique, avec quatre ministres de la santé différents (François Braun, Aurélien Rousseau, Agnès Firmin-le Bodo, Frédéric Valletoux), et deux premiers ministres ; une instabilité politique, qui a pesé sur les échanges. Car si le ministère de la santé ne participe pas aux négociations… il est très présent dans les coulisses et veille à ce que les accords rentrent dans une enveloppe financière prédéterminée (le déficit de l’assurance maladie s’élève à 11 milliards € en 2023).

Le forfait médecin traitant sort renforcé

La très grande majorité des 52 000 généralistes relèvent du secteur I c’est-à-dire qu’ils n’ont pas le droit au dépassement des tarifs de l’assurance maladie. Ils attendaient donc avec impatience le résultat des négociations qui fixe le montant de leurs honoraires. La consultation de référence a été revalorisée de 25 à 30 € ; les consultations longues et complexes ont été elles aussi revalorisées. Dans la mesure où la convention médicale s’est enrichie au fil du temps de nombreuses majorations complémentaires, pour les enfants, les plus âgées… le tarif réel est souvent plus important.

Le premier ministre, Gabriel Attal, a mis le feu aux poudres en affirmant vouloir remettre en cause le dispositif du médecin traitant (qui rend plus couteux l'accès direct à certains spécialistes), provoquant un clash avec les syndicats de médecins généralistes. Le syndicat Avenir spé a poussé cette revendication considérant que le filtrage des consultations de spécialistes par les généralistes n’avait plus lieu d’être, ce qui a failli faire capoter la négociation. Mais finalement les syndicats de généralistes ont obtenu gain de cause et le dispositif du médecin traitant est maintenu et renforcé.

Un nouveau forfait médecin traitant (FMT) sera mis en place en 2026. Le FMT sera ainsi calibré par patient selon son âge, son état de santé, sa situation sociale, et son parcours de prévention avec un montant socle allant jusqu’à 100 € pour un patient de plus de 80 ans en ALD. Des majorations sont prévues pour les bénéficiaires de la CSS (+ 10 €) et en cas de respect effectif du parcours de prévention préconisé par la Haute Autorité de santé (vaccination, dépistage, examens de suivi des patients atteints de pathologies chroniques).

Certaines spécialités cliniques revalorisées

Avec plusieurs dizaines de spécialités médicales différentes, les spécialités offrent un paysage beaucoup plus morcelé que les généralistes, ce qui se traduit notamment sur le plan tarifaire. Environ la moitié des 53 000 spécialistes relèvent du secteur I, et respectent les tarifs de la sécurité sociale, comme les généralistes. Les autres dépendent du secteur à honoraires libres, avec trois options différentes ; l’Optam (option tarifaire maîtrisée) qui implique que les médecins observent une certaine modération dans l’augmentation de leurs honoraires…, l’Optam-CO réservé aux chirurgiens et gynécologues obstétriciens - avec maintenant en sus les anesthésistes - et un troisième groupe pour les médecins choisissant l’entière liberté tarifaire. On comprend que les français ont du mal à savoir quand ils vont voir leur spécialiste quel est le montant effectivement remboursé par l'assurance maladie.

La répartition entre ces quatre options varie fortement selon les spécialités. Ainsi, à titre d’exemple, en 2022, la moitié des gastro-entérologues libéraux exercent en secteur 1, 29 % adhérent à l’Optam et 21 % n’y adhérent pas. La répartition est toute autre chez les ophtalmologistes, 32% seulement exerçant en secteur 1, seulement 18 % relevant de l’option tarifaire maitrisée, et la moitié pratiquant des honoraires libres sans option maîtrisée. 

 

La convention médicale a choisi de revaloriser les spécialités cliniques en bas de l'échelle des revenus. Ainsi, la consultation de référence des psychiatres et des neurologues est revalorisée à 50 € puis à 52 au 1er juillet 2025 ; celle des gynécologues passe à 32 puis 35 € au 1er juillet 2025 ; celle des gériatres, à 32 puis à 37 € au 1er juillet 2025 ; et, enfin, la consultation des médecins spécialisés en médecine physique et réadaptation passe à 31 € puis 35 € en juillet 2025. Les consultations de l'enfant font, elles aussi, l'objet d'une revalorisation.

Pour les autres spécialités médicales qui effectuent majoritairement des actes techniques (chirurgiens, radiologues…), les évolutions tarifaires de la Classification commune des actes médicaux attendra.

La rémunération à la capitation met un pied dans la convention médicale

La « grande nouveauté » de cette convention est l’introduction de la rémunération à la capitation, à la place de la tarification à l’acte (article 92).  Le terme, trop polémique, a cependant été remplacé par « Dispositif collectif de rémunération forfaitaire » En clair, il s’agit de mettre en œuvre un paiement collectif forfaitaire, substitutif à l’acte, pour des équipes volontaires de professionnels de santé. Ce nouveau système de rémunération est susceptible de libérer du temps médical grâce à une meilleure coopération et coordination entre professionnels de santé, peut-on lire dans le document conventionnel. Ce projet ne vient pas de nulle part. Depuis plusieurs années en effet, plusieurs équipes de professionnels de santé expérimentent ce nouveau système de rémunération, comme le groupe Ipso-santé (Libération, réservé aux abonnés) par exemple mais aussi d’autres équipes dans le cadre des expérimentations-article 51.

La mise en œuvre ne sera pas immédiate. Le directeur général de de la CNAM doit établir un cahier des charges inspiré vraisemblablement des expériences existantes, avant la fin d’année 2024. La commission nationale paritaire doit rendre son avis dans un délai d’un mois à compter de sa saisine. À défaut d’avis dans ce délai, l’avis de la CPN est réputé rendu. Les cabinets de groupe et les maisons de santé pluridisciplinaires souhaitant mettre en œuvre le paiement forfaitaire dans leur structure devront se signaler auprès de leur CPAM de rattachement en répondant à ce cahier des charges. Reste à savoir si les médecins généralistes seront nombreux à se tourner vers cette nouvelle forme de pratique.

L'assurance maladie et les syndicats médicaux veulent freiner le développement des cabinets à horaires étendus

L’assurance maladie et les syndicats médicaux se sont mis d’accord pour freiner, voire remettre en cause le développement des cabinets à horaire étendu (CHE). Fonctionnant de 9h à 22h, 7 jours sur 7, ces structures accueillent les patients sans réservation préalable ; elles se sont notamment développées autour de Marseille, et en Bretagne plus récemment.

Pour combattre ces structures, les syndicats médicaux et l’assurance maladie ont d’une part réduit la valeur des majorations de tarif pour les actes de nuit de 20h00 à 00h00 (MN), et pour les jours fériés (F). Par ailleurs, ces majorations ne peuvent être cotées que pour des motifs d’urgence, « pour une affection ou la suspicion d'une affection mettant en jeu la vie du patient ou l'intégrité de son organisme et entraînant la mobilisation rapide des ressources humaines et matérielles », une vision très restrictive des soins non programmés.

Une majorité de médecins généralistes ne veulent plus travailler comme leurs aînés le soir, au-delà de 19 heures, ce qui est parfaitement légitime. Mais pourquoi refuser que s’implantent des cabinets médicaux qui répondent à la demande de soins en soirée, et le week-end ? Est-ce que l’assurance maladie préfère que les patients aient recours aux urgences ? À quel prix ? À qui peuvent s’adresser les actifs qui ne peuvent consulter dans la journée, pour eux-mêmes et leurs enfants ? Faut-il parler d’effet d’aubaine, comme le président du syndicat CSMF des généralistes ? Où sont les risques pour l’assurance maladie ? C’est auprès des spécialistes que la demande de soins progresse le plus (+ 25 % depuis 2010) alors que l'accès aux généralistes est relativement stable (comptes de la santé 2023). 

François Tuffreau, publié le 11 juin 2024



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