En Allemagne, l’organisation et le financement des soins font l’objet de décisions prises par les acteurs mêmes du système de santé

L’Allemagne est le berceau de l’assurance maladie, le premier régime d’assurances sociales ayant été introduit par le chancelier allemand Otto von Bismarck à la fin du XIXème siècle. La France s’est inspirée de ce modèle pour construire son propre système d’assurances sociales, à partir de 1930 seulement. Sarah Minery de l’Irdes a coordonné une comparaison de l’organisation des soins ambulatoires dans les deux pays.

Sarah Minery

AUTEURS

Comparaison des soins ambulatoires en France et en Allemagne, quels enseignements ? -

Cette étude a été menée dans le cadre d’une collaboration entre l’Irdes, le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFips), la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam), le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (Hcaam) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Au lendemain de la guerre de 1914-1918, les alsaciens ayant réintégré le territoire national se trouvèrent soudain privés du système de protection sociale instauré par Bismarck vers 1883, dont ils bénéficiaient en tant que citoyens allemands. Et il a fallu attendre encore 12 ans avant que soit adoptée la première loi relative aux assurances sociales (1930), près de 40 ans après nos voisins d’outre Rhin. À l’origine, les deux systèmes d’assurances sociales avaient de nombreux points communs. Depuis, chaque pays a suivi son propre chemin.

Plus d'avantages pour les assurés sociaux en Allemagne ?

Sur le plan des dépenses de santé, les deux pays ont une situation comparable, avec une dépense représentant 12,7 % du Produit intérieur brut en Allemagne et 12,1 % en France. Quant au reste à charge, il est un peu plus important en Allemagne (12%) qu’en France (9%). Mais les points communs s’arrêtent là.

En Allemagne, lorsque vous allez chez le médecin, le dentiste ou le psychothérapeute, vous ne payez pas les honoraires du praticien si vous êtes rattachés à une caisse de maladie publique. Les professionnels de santé sont ensuite rémunérés par leurs organisations professionnelles. À l’inverse, l’avance de frais est quasi systématique en France auprès des généralistes (sauf pour les patients en affection longue durée...), des autres spécialistes, et en particulier des radiologues… l’assuré étant remboursé ultérieurement par l’assurance maladie et la complémentaire.

Autre avantage, les assurés sociaux allemands ne connaissent pas les dépassements d’honoraires quand il consulte un médecin. Dans notre pays, il est difficile pour les assurés sociaux de s’y retrouver avec cinq systèmes tarifaires différents ; secteur 1, droit au dépassement, OPTam, OPTamCO, honoraires libres.

Pour les médicaments, les remboursements semblent moins avantageux qu’en France. Le reste à charge est de 10 % du prix de vente par boite mais ne peut pas dépasser 10 €. Avec les complémentaires obligatoires, les français disposent d’un remboursement à 100 % pour un panier de soins déterminé, sans avance de frais, les pharmaciens pratiquant le tiers-payant. La plupart des assurés sociaux allemands n’ont pas recours à une complémentaire (75 %), les soins étant pris en charge (en fonction d’un certain panier de soins) à 100 % par l’assurance maladie publique.

Autre différence forte avec le système français ; la durée des consultations. En Allemagne, les professionnels de santé sont entourés d’assistants médicaux, ce qui simplifient le travail du médecin, et réduit le temps de consultation (8 minutes en Allemagne, contre 16 à 18 minutes en France y compris pour les généralistes). Un modèle qui n’est pas inconnu en France ; une forte proportion d’ophtalmologistes travaille avec des orthoptistes notamment pour une durée de consultation qui peut être courte.

En France, les syndicats médicaux se sont toujours opposés aux mesures visant à réguler leur installation sur le territoire. En Allemagne, la régulation à l’installation est très stricte, un modèle largement accepté par les professionnels de santé eux-mêmes, car il s’agit d’une forme d’autorégulation, dans laquelle les associations représentatives des professionnels de santé jouent un rôle essentiel. Plus généralement, les allemands disposent d’une meilleure couverture des soins sur leur territoire pour consulter un généraliste ou un spécialiste. La géographie de l’Allemagne est toutefois profondément différente de celle de la France avec une forte concentration urbaine et une densité de population plus que deux fois plus élevée.

Les caisses d'assurance maladie doivent équilibrer recettes et dépenses

En Allemagne, l’assurance maladie obligatoire est fournie dans le cadre d’un régime public (Gesetzliche Krankenversicherung – GKV). Les personnes dont le revenu est supérieur à un seuil fixe (66 600 € bruts par an en 2023) ou qui appartiennent à certaines catégories professionnelles (tels les indépendants et fonctionnaires) peuvent souscrire une assurance privée, sans possibilité toutefois de retour vers les caisses publiques (Privatliche Krankenversicherung – PKV).
87 % de la population est couverte par le régime public, 11 % par une assurance privée et les 2 % restants (comme les soldats) par des programmes spéciaux.

Les assurés allemands peuvent choisir librement leur caisse d’assurance maladie publique, en fonction des informations disponibles sur les coûts et la qualité de couverture. Les caisses peuvent se faire concurrence sur les prix pour attirer les affiliés mais doivent assurer l’équilibre budgétaire des recettes et des prestations : elles peuvent proposer des options tarifaires qui permettent aux assurés de bénéficier de prestations supplémentaires ou de réduire leurs cotisations, pour un panier des soins pris en charge par l’assurance maladie publique défini au niveau fédéral. Par ailleurs, les assureurs sont contractuellement obligés d’accepter tout demandeur, quel que soit son profil de risque (état de santé).

De fortes contraintes pour les mÈdecins, parties prenantes de l'organisation du système de santé

En Allemagne, l’organisation et le financement des soins font l’objet de décisions prises par les acteurs mêmes du système de santé, et ce, à tous les niveaux, rappelle Sarah Minery. L’ensemble des parties prenantes « caisses d’assurance maladie, hôpitaux, médecins, psychothérapeutes et dentistes conventionnés » … sont représentés par des associations qui se réunissent au plan national, au sein du Comité mixte fédéral, le « Gemeinsamer Bundesausschuss – G-BA », organe décisionnel suprême du système de santé allemand.

 

Dans le cadre de l’assurance publique, les médecins libéraux ne sont pas directement rémunérés par les caisses d’assurance maladie : celles-ci versent annuellement un budget prospectif à chaque association de médecins conventionnés (Kassenärztliche Vereinigungen – KV) qui répartit ensuite ce budget entre les médecins dans sa « région ». Ce budget global est ajusté sur la morbidité ou le profil des patients dans chaque Land, qui fixe la limite maximale des dépenses de médecine en ville (enveloppe fermée). Le montant de cette enveloppe est négocié entre les associations de médecins conventionnés et les caisses d’assurance maladie publique, en considérant les prix et les volumes des services fournis l’année précédente dans la région. La somme peut être ajustée afin de tenir compte du nombre et de l’évolution de l’âge et de l’état de santé (maladies) des assurés (publics) dans le Land.

Globalement, ce mécanisme contribue à assurer des niveaux de revenus un peu plus élevés qu’en France pour la plupart des médecins, avec des écarts moins prononcés entre spécialités. Il contribue également à assurer une meilleure accessibilité aux soins de ville pour les patients par un contrôle des conditions d’installation.

Dans notre pays, l'État central doit résoudre tous les problèmes

L’Allemagne n’est pas la France, et chaque système de santé est le fruit d’une histoire collective et le reflet de structures politiques et sociales profondément différentes d’un pays à l’autre.

Sur le plan des politiques publiques, la principale différence entre nos deux pays tient au fait que l’Allemagne est un pays fédéral, les « Lander » étant notamment en charge de la mise en œuvre des politiques de santé, au plan hospitalier et en matière de santé publique. En France, la perspective d’une régionalisation des politiques de santé n’est pas d’actualité. Au nom de l’universalisme, il est inenvisageable de confier aux Régions de telles responsabilités, car il faut, à tout prix, garantir une égalité de traitement sur l’ensemble du territoire. Malgré des siècles de centralisme administratif, les disparités sociales restent pourtant fortes d’une région à l’autre (la Creuse n’est pas la Seine-Saint-Denis) et nécessitent que les politiques publiques s’adaptent aux réalités locales.

L’autre grande différence tient au fait que le pilotage de la politique en matière de soins ambulatoires relève des différentes parties prenantes qui négocient collectivement des accords, les organisations de médecins étant en charge de la répartition des honoraires médicaux. Les médecins allemands n’ont pas choisi ce modèle. C’est Bismarck qui leur a imposé mais peu de praticiens en Allemagne souhaiteraient le remettre en cause si l’on en croit les auteurs de l’étude.

Ce modèle est aux antipodes de notre culture administrative, et de notre sens du compromis. Au nom de la « défense de la médecine libérale », les syndicats médicaux continuent à revendiquer leur liberté d’installation et ne veulent pas d'une régulation de leurs dépenses. Les unions professionnelles ont été créées dans les régions (URPS) pour que les professionnels de santé libéraux soient mieux associés aux politiques les concernant. Avec quel résultat ? Les divisions syndicales sont profondes (une dizaine de syndicats différents ont participé aux négociations pour la convention médicale), et la surenchère est indispensable pour gagner les élections professionnelles à venir.

Dans notre pays, l’État central doit résoudre tous les problèmes aussi bien dans le domaine sanitaire, qu’en matière d’affaires sociales, éducatives, pour l’emploi… et les pouvoirs locaux ont des compétences réduites et éclatées entre quatre niveaux de décision (Conseils régionaux, départementaux, communes et groupements de commune), une organisation incompréhensible pour le citoyen. Dans ces conditions, le niveau central concentre toutes les critiques en cas de crise, quand les commerces ferment… ou quand le médecin abandonne son cabinet sans être remplacé. Ce n’est pas sans conséquences politiques, la centralisation du pouvoir étant une source d’extrême fragilité à l’heure des réseaux sociaux. Pour les assurés sociaux allemands comme pour les professionnels de santé de ce pays, l’organisation en vigueur, qui introduit des contraintes fortes pour les acteurs, présente de nombreux avantages. La régionalisation du système de santé et la forte implication des parties prenantes dans son pilotage n’ont pas que des défauts.

François Tuffreau, publié le 2 juillet 2024



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